L’Europe ne parvient toujours pas à s’imposer sur le démantèlement des navires. Publié le 02 Février 2022 par Adeline Descamps (mis en ligne avec l’autorisation de Madame Adeline Descamps)

Sur les 763 navires destinés au démantèlement en 2021, 583 ont échoué sur les plages très controversées du Bangladesh, de l’Inde et du Pakistan, au mépris de certaines réglementations sur le travail et l’environnement mais aussi des normes en matière de gestion des déchets. Il y a pourtant 44 chantiers européens agréés

Plus de 750 navires marchands et unités flottantes offshore ont été vendus pour démantèlement en 2021. Parmi eux, 583 ont fini sur les plages du Bangladesh (254), de l’Inde (210) et du Pakistan (119). En 2020, sur les 630 unités destinées au recyclage, 446 y avaient également échu.

Invariablement, selon les années, la baie d’Alang en Inde (153 parcelles dédiées à la démolition sur une côte de 10 km), les plages de Chittagong au Bangladesh et de Gadani au Pakistan, concentrent la quasi-totalité du tonnage brut démantelé dans le monde. En comparaison, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong ont traité 142 navires en fin de vie, les Émirats arabes unis, une soixantaine, tandis que les États-Unis en ont accueilli 41 et l’Europe 37.

15 décès et 34 blessés graves

L’an dernier, une quinzaine de personnes ont perdu la vie sur la plage de Chattogram, au Bangladesh, et 34 autres ont été gravement blessées, dénonce l’ONG Shipbreaking Platform, connue pour ses engagements en faveur d’un démantèlement responsable des navires sur un plan environnemental et social.

« Tous les armateurs sont conscients de la situation désastreuse de ces chantiers et du manque de moyens pour traiter en toute sécurité les nombreuses matières toxiques présentes à bord des navires », assure Ingvild Jenssen, la présidente de l’ONG.

Recyclage des navires : la situation ne s’est pas améliorée en 2020

Une dizaine de compagnies à l’index

Dans son bilan annuel, l’association a pour habitude d’épingler les pires pratiques au regard des réglementations en vigueur, en se basant sur le nombre de navires envoyés dans ces chantiers sans règles et des décès.

Sinokor, European Navigation, PT Buana Lintas Lautan Tbk (BULL), Jin Hao Ship Management, Polaris Shipping, Winson Oil Trading Pte Ltd, Nathalin Co, Berge Bulk, Zeamarine Americas LLC et Alpha Bulkers Shipmanagement sont ainsi mises à l’index.

Inconditionnelle du classement, la sud-coréenne Sinokor a envoyé 12 de ses méthaniers et tankers au Bangladesh et au Pakistan. « Un accident, dans lequel un travailleur s’est gravement bléssé, s’est produit lors de la découpe du Mediterranean Energy sur le chantier de SN Corp. à Chittagong. Dans ce même chantier, deux personnes ont trouvé la mort et sept ont été blessés l’année dernière », alerte l’ONG. 

La Roumanie et la Suède, sommés de se conformer aux règles européennes sur le recyclage des navires

Les lois existent mais aisément contournables

Il existe pourtant des règles et de lois mais l’ONG a maintes fois fait la démonstration de la déconcertante facilité avec laquelle il est possible de les contourner, « souvent avec l’aide d’acheteurs au comptant », accuse la présidente de l’ONG. « Ceux-ci paient le prix fort pour les navires en fin de vie et, les rebaptisent, réenregistrent et changent de pavillon pour les envoyer en Asie car c’est là qu’ils vont réaliser le plus grand profit ».

Près de la moitié des navires vendus à l’Asie du Sud en 2021 auraient ainsi changé de registre pour adopter l’un des pavillons de la liste noire par le MoU de Paris, dont les Comores, Palau et de Saint-Kitts-et-Nevis, particulièrement populaires auprès des acheteurs au comptant « grâce à leur mauvaise application du droit maritime international ».

Parmi ces changements de pavillon in extremis, dix-sept étaient censés être assujettis au règlement européen sur le recyclage des navires qui rend obligatoire, depuis le 1er janvier 2019, la démolition dans des installations agréées par Bruxelles (au nombre actuellement de 44) en Europe, en Turquie et aux États-Unis. L’ONG harponne notamment deux unités appartenant à la société italienne O&G Saipem et deux à la société grecque European Navigation.

En outre, une vingtaine de navires ont été vendus en violation de la Convention de Bâle qui, elle, interdit l’exportation de déchets dangereux (les navires sont considérés comme tels en raison de la présence d’amiante, de métaux lourds, d’hydrocarbures…) vers des pays non membres de l’OCDE.

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Sujet clivant

Pour les associations représentant les armateurs, l’entrée en vigueur de la Convention internationale de Hong Kong est la clé. Le traité international impose, entre autres, aux propriétaires de flotte de fournir aux chantiers de démantèlement un inventaire des matières potentiellement dangereuses alors que les chantiers doivent établir un « plan de recyclage », précisant la manière dont chaque navire sera démantelé, en fonction de ses caractéristiques propres et de cet inventaire et dans le respect de la sécurité des employés et de protection de l’environnement.

Mais si le texte, rédigé sous l’égide de l’OMI, d’ONG, de l’Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, est ouvert à la signature depuis le 1er septembre 2009, il n’est toujours pas entré en vigueur, faute du quorum de ratification atteint, fixé à 15 États et au moins 40 % de la flotte mondiale de navires marchands.

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Extension de la liste

Le règlement européen sur le recyclage des navires est un autre sujet de tensions. Les armateurs ont toujours soutenu, via leur instance de représentation européenne (ECSA) mais aussi internationale (BIMCO), que les seuls chantiers européens ne seraient pas suffisants pour assurer le démantèlement des navires, du fait de leur faible disponibilité (activité concentrée sur les activités plus rentables de la réparation navale et les travaux offshore) et de capacité. Quant aux chantiers turcs, qui en ont la taille, ils « sont concentrés sur les navires à passagers », affirment-ils.

Les exploitants et propriétaires de flotte militent, pour cette raison, en faveur d’une extension de la liste « européenne » à des sites extra-communautaires dès lors qu’ils se conforment aux exigences. Or, les différents audits réalisés en 2019 et 2020  par les inspecteurs européens sur les sites si controversés n’ont pas vraiment été concluants. Sur les quatre candidats chinois et les 20 postulants en Inde, aucun n’a coché les cases de Bruxelles. Les installations indiennes ont été mises en défaut sur 34 points. La Chine, elle, s’est placée hors-jeu en fermant ses portes à l’importation des déchets.

Quant aux chantiers turcs, censés être conformes aux normes de l’UE, « cinq travailleurs ont perdu la vie à Aliağa l’année dernière », charge l’association.

Adeline Descamps

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