De ne pas avoir cédé à l’amalgame qui se fait toujours entre la cargaison de ce navire et celle qui a tristement impacté la ville de Beyrouth.
Certes, nous devons en tirer des leçons, mais surement pas dans les psychoses. Dans le transport maritime et dans la gestion portuaire, nous avons, en quelques décennies, petit à petit, occulté tous les fondamentaux de la gestion d’un transport maritime et particulièrement le transport de marchandises dangereuses. Nous ne réagissons plus comme des professionnels responsables qui savent que le risque zéro n’existe pas, mais exclusivement par rapport à des faits antérieurs mis en évidence par les médias qui n’ont strictement rien à voir avec la situation présente. La peur, la crainte de mal faire, de prendre des responsabilités de perdre son emploi sur un événement rare, sur une situation que nous ne maitrisons pas entre alors en scène, et les sueurs froides apparaissent et vous font perdre tous vos moyens pour gérer une situation de crise qui vous semble monumentale.
Félicitation également, M. le directeur portuaire,
pour ne pas avoir cédé également à l’amalgame qui se fait dans les médias entre la nationalité du navire (Malte), l’équipage syrien et le pays de chargement du nitrate d’ammonium (la Russie). Ne pas tout mélanger, nous parlons là d’assistance d’un navire en avarie, pas encore de terrorisme, Si tel était le cas et que l’autorité pense qu’il y a possibilité d’acte malveillant, il fallait le dire en Norvège, saisir le navire et sa cargaison et surement pas le refouler.
Bravo de ne pas avoir cédé la pression médiatique sur les conséquences d’une hypothétique explosion qui aurait pu affecter un navire coulé il y a 80 ans « bourré d’explosifs de la dernière guerre ». D’autant plus inquiétant que je ne vois pas le rapport entre ces deux navires distanciés de 30 miles l’un de l’autre. À contrario, avec un navire coulé avec 1400 tonnes d’explosifs, il va falloir, peut-être, après 80 ans de réflexion, s’en occuper et prendre une décision, car le cas du navire « Ruby » se reproduira.
Le pire dans cette affaire, qui n’est pas encore terminée, c’est que contrairement aux Britanniques, les autres pays de la Communauté européenne, du moins en public, se sont contentés, soit de refouler, soit de refuser son accostage. Pour les autres, nous ne les avons que très peu entendus. Pas beaucoup ont proposé une alternative, l’accès à un port refuge, un mouillage refuge par exemple. En fait, la peur a dominé l’évènement et sans maitrise ? elle se multiplie. « Qu’il se débrouille, nous, on surveille à distance, c’est bien comme cela ! » Dans quel monde vivons-nous ? celui que tant que tout va bien, je me congratule, mais dès que tout va mal, je botte en touche ? Ce ne pense pas que ce soit cela la définition « d’élite » responsable.
Nous sommes capables d’alourdir en permanence des règles en matière de transport de marchandises dangereuses, notamment en ADR à tel point qu’il y a de moins en moins de conseillers. Nous pouvons constater que les fausses, ou pas déclarations de transport de marchandises dangereuses, particulièrement par voie maritime, sont en constante augmentation, y compris les multimodales (route/mer/route). Avec 90% des échanges mondiaux par voie maritime, dont 10% attribués au transport de marchandises dangereuses, le conseiller expert en transport de marchandises dangereuses par voie maritime, contrairement à celui par route/chemin de fer et fluvial, n’est pas reconnu. Extraordinaire ! Le transport des marchandises dangereuses sur un navire est loin d’être anodin, beaucoup d’élément externes sont à prendre en compte, la configuration du navire, la cargaison, les ségrégations à appliquer que soit dans l’engin de transport ou sur l’arrimage à bord du navire, les conditions météorologiques, les avaries des navires qui souvent demande une prise de décisions extrêmement rapide, simplement les fondamentaux. Sur cette affaire « Ruby » j’ai eu l’impression que la Communauté européenne (y compris la France découvrait qu’un navire vraquier pouvait transporter des marchandises dangereuses et qu’il pouvait être en avarie et que nous n’avions pas prévu cet état de fait, ce qui prouve bien que nous avons occulté beaucoup de points dans les situations de crise maritime. Les conséquences ? il a fallu ensuite plus d’un mois pour réagir.
J’ai vu de mes yeux se manque de vigilance, une semi-remorque plateau de 25 tonnes de nitrates d’ammonium en GRV avec dessus une voiture thermique saisie par deux sangles traversant l’habitacle embarqué sur un navire roulier passagers) ici chez nous en France pas chez les autres et ça n’a choqué personne.
Il nous a fallu (avec un consortium européen) plus d’un mois pour trouver juste un mouillage ou un port refuge pour un navire en avarie contenant une cargaison de 20 000 tonnes de nitrates d’ammonium, ou sont passés tous les fondamentaux et base du transport maritime. Nous avons besoin de réagir et de travailler avec pragmatisme sur les situations de crise en mer impliquant des navires transport des marchandises dangereuses, notamment celles demandant des prises de décisions rapides.
Quoi qu’il en soit, bravo et félicitation au port de Great Yarmouth et à son directeur. Je suis persuadé que le professionnalisme des personnels portuaires (dockers, agent portuaire, grutiers, douanes…) fera tout pour que ce transbordement se passe du mieux possible. Effectivement, le risque zéro n’existe pas, mais le professionnalisme l’atténue grandement. Quant aux autres pays européens, n’oubliez pas que la peur n’évite pas le danger et que ce genre de mésaventure n’arrive pas qu’aux autres.
Eric Slominski.