9 février 2024 Par Elodie Hertu
L’Annelies Ilena, le plus grand chalutier du monde, au mouillage dans le Lough Swilly
La compagnie des pêches de Saint-Malo, en Bretagne, a récemment investi 15 millions d’euros pour implanter une usine de production de surimi sur l’Annelies Ilena, surnommé le « navire de l’enfer »…
Propriété de l’armateur hollandais, Parlevliet & van der Plas, lui-même actionnaire de la compagnie des pêches, l’Annelies Ilena, considéré comme le plus gros chalutier pélagique* du monde, remplacera le Joseph Roty II. Jean-Paul Hellequin, porte-parole de la CGT des marins et président de l’association Mor Glaz, estime qu’après 50 ans de carrière, le Joseph Roty II, seul bateau armé pour le surimi en Europe, a été « poussé jusqu’au bout, quitte à mettre les marins en danger ». Et aujourd’hui il s’inquiète de l’arrivée de son remplaçant. « Après le gigantisme des navires marchands, voici le gigantisme des navires dévastateurs des océans ! », titre d’ailleurs un communiqué de l’association.
Géant des mers
L’Annelies Ilena, construit en 2000, est si imposant qu’il ne passera pas les écluses malouines. Avec ses 145 m de long (90 m pour le Joseph Roty II), ce géant des mers livrera donc le merlan bleu, surgelé à bord sous forme de pâte à surimi, aux Pays-Bas. Chaque année, 3 000 tonnes de production devraient donc repartir par camions vers Saint-Malo, destination l’usine de fabrication du surimi où les 170 salariés devraient conserver leur poste. La trentaine de marins du Joseph Roty II en CDI, rejoindra l’Annelies Ilena « sous contrat français », assure un communiqué de la compagnie bretonne qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Quid de l’impact carbone lié à ce transport routier ?
Jusqu’à 400 tonnes par jour
Comme Mor Glaz, l’association de défense des océans Bloom dénonce les capacités démesurées du navire à la mauvaise réputation. Surnommé le « navire de l’enfer » pour avoir pillé les eaux mauritaniennes, l’Annelies Ilena peut pêcher « jusqu’à 400 tonnes par jour, avec une capacité de stockage de 7 000 tonnes ». Un communiqué de Bloom alerte sur le fait que « le navire a été chassé après cinq ans de pillage puis racheté par Parlevliet & van der Plas en 2007 via sa filiale Viking Bank pour 30 millions d’euros et rebaptisé l’Annelies Ilena ».
Pour 2024, les quotas délivrés au navire battant pavillon polonais s’élèvent à 42 000 tonnes de merlan bleu en Atlantique Nord et dans le golfe de Gascogne. D’après la communication officielle de la compagnie malouine, la part des quotas apportée au projet correspond à celle du Joseph Roty II. L’Annelies Ilena, qui a ses propres quotas, conservera son activité de surgélation du merlan bleu entier. La Compagnie des pêches de Saint-Malo garantit qu’aucun bateau ou armateur ne sera lésé dans l’histoire et va même jusqu’à dire qu’en passant de deux bateaux à un, il y a une « optimisation des moyens de production ».
Vantés par les principaux intéressés, ces modèles « industriels et capitalistes de la pêche », selon les mots de Jean-Paul Hellequin, sont pourtant obsolètes si l’on en juge le dernier rapport de Bloom. L’association a notamment calculé « qu’un chalutier pélagique, par tonne de poisson débarqué, crée dix fois moins d’emplois qu’un navire de petite pêche. C’est donc aussi une question sociale », comme l’a indiqué à France Bleu, jeudi 8 février, Laetitia Bisiaux, chargée de projet.
Défenseurs de l’environnement inquiets
Quant aux techniques de pêche utilisées, la compagnie qui opère actuellement sa première campagne d’essai, informe qu’elles n’ont pas d’impact sur les fonds marins puisque la pêche pélagique se pratique comme son nom l’indique, entre deux eaux. Pour autant, les défenseurs de l’environnement sont inquiets. Jean Paul Hellequin qui a pratiqué pendant 10 ans la pêche à Terre-Neuve, témoigne de « pêche sans distinction ». Le matériel a progressé depuis, mais le militant reste sceptique. Jean-Noël Kerautret, chargé de communication de la compagnie malouine n’ayant pas répondu à nos messages, nous n’avons pas de précision quant aux éventuelles méthodes d’adaptation déployées par la compagnie pour améliorer la sélectivité.
« Ces gros bateaux affament les gens des littoraux dans certains pays africains »
Jean-Paul Hellequin, au chevet de la mer et des marins depuis 1968, se soucie aussi de savoir si ces prises à échelle industrielle ne subtiliseraient pas une partie des réserves des pêcheurs côtiers, « voire d’une partie du garde-manger des cétacés » que l’on tente de préserver actuellement dans le golfe de Gascogne. Il rappelle à ce titre que « ces gros bateaux affament les gens des littoraux dans certains pays africains ». Quant à la ressource en elle-même, si elle ne présente pas d’inquiétude particulière dans l’immédiat, sa surpêche devrait d’ores et déjà alerter les esprits.
*pêche entre la surface et le fond de l’eau