Jean-Baptiste Luccioni : « Pietrosella mise en examen, c’est dur à entendre » Article dans Corse Matin du 31 août 2023 

Caroline Marcelin cmarcelin@corsematin.com : Article dans Corse Matin du 31 août 2023 publié il y a 20 heures (1 septembre 2023).

Jean-Baptiste Luccioni s’étonne de la décision du juge d’instruction de mettre en examen sa commune. Florent Selvini

Pietrosella – Pitrusedda

La commune est mise en examen pour homicide involontaire dans l’affaire du naufrage en 2020 d’un bateau de plaisance. Son maire, Jean-Baptiste Luccioni, explique la difficile gestion des zones de mouillage organisé

La commune de Pietrosella a été mise en examen, en juin 2022, dans l’affaire du naufrage du Be-Bop, du nom de ce voilier qui, le 25 septembre 2020 s’est échoué sur un récif. Deux personnes ont perdu la vie. L’équipage s’était préalablement amarré à une bouée du mouillage géré par votre municipalité (lire ci-dessous). Avez-vous été surpris par cette mise en cause ?

Ce qui s’est passé ce soir-là est un drame. Des familles en ont été profondément marquées mais je ne comprends pas pourquoi la justice cherche la responsabilité de la commune. Ces plaisanciers pris dans la tempête et qui n’avaient pu trouver de places dans le port d’Ajaccio avaient fait le choix de venir s’amarrer à une bouée de notre mouillage organisé sans que nous en soyons avertis. Il a de plus été établi que le bateau s’était décroché du mouillage en raison d’une défaillance de leurs amarres et non de notre matériel. J’espère que la juridiction compétente fera droit aux arguments que nous apporterons. Mais très franchement, cette mise en examen pour homicide involontaire ne nous engage pas à renouveler la gestion du mouillage. Cette affaire souligne aussi la lourde responsabilité pénale des maires : la mise en examen concerne la commune mais puisque j’en suis le maire, c’est mon nom qui est également cité. Tout cela est assez dur à entendre, d’autant que nous avions récupéré la gestion du plan d’eau à la place de l’État pour améliorer les choses.

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MOR GLAZ:  20 octobre 20203 novembre 20209décembre 2020

L’État pousse les communes à gérer des mouillages organisés. Pitrusedda fut l’une des premières en Corse à accepter cette responsabilité. Pourquoi ?

Nous avons pris cette concession en 2008. En 2004-2005, le conseil municipal avait fait le choix de gérer directement son plan d’eau car une entreprise privée avait fait part à l’État de sa volonté de prendre une concession pour organiser des mouillages sur une bonne partie du golfe d’Ajaccio. L’État a alors consulté toutes les communes concernées en nous expliquant que nous étions prioritaires. Nous avions alors un gros mouillage sauvage chaque été autour d’Isolella. Le conseil municipal redoutait par ailleurs que la gestion par un privé entraîne l’exclusion des petits plaisanciers locaux. Pour éviter les conflits d’usage, nous avons donc accepté de créer et gérer le mouillage organisé et avons signé une autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public maritime de quinze ans.

Combien la commune a-t-elle dépensé pour organiser ce mouillage ?

La zone de mouillage fut à la fois difficile à réaliser en raison des nombreuses études à mener et très coûteuse puisque nous n’avons reçu aucune aide. Ni de l’État : l’agence de l’eau n’a pas voulu nous verser 600 000 euros de subventions au motif que nous avions utilisé des installations qu’elle n’avait pas validées or nous n’avions eu d’autres choix que de placer, dans des zones sableuses, des corps-morts plutôt que des ancres à vis. Ni de l’agence de tourisme de la Corse. L’État, qui incite les communes à prendre ces concessions, oblige, celles qui les acceptent, à faire le travail que lui-même n’a jamais réalisé : nous avons dû ainsi nettoyer les fonds pour un coût de 300 000 euros. En tout, 1,2 million d’euros ont été déboursés par la commune, entre le nettoyage et la création de nouveaux mouillages. Il faut y ajouter le coût de l’entretien (entre 50 000 et 80 000 euros par an) et de l’AOT (30 000 euros par an). Nous avions fait un emprunt sur 15 ans. Mais nous n’avons jamais fait supporter cet effort financier aux contribuables : nous avons remboursé par le biais des redevances des usagers de mai à octobre. Aujourd’hui, avec 280 000 euros de recettes annuelles, la zone de mouillage et d’équipements légers (ZMEL) est à l’équilibre : elle ne génère pas de bénéfice mais n’engendre pas de surcoût à la commune.

Regrettez-vous d’avoir pris cette concession et comptez-vous la renouveler ?

Il y a beaucoup de points positifs : nous avons pu organiser l’utilisation de l’espace maritime, limiter les conflits d’usage ainsi que l’impact environnemental, réguler l’accès à la mer : les bateaux sont placés à 50 m de la plage et aucun mouillage n’est autorisé en dehors de la Zmel. Nous avons pu préserver ainsi 12 km de côte en réduisant le mouillage à 1 km. Les points négatifs sont que cette gestion entraîne de grosses contraintes et responsabilités. Comme celles de nettoyer le site terrestre en cas d’échouage d’un bateau ou, beaucoup plus lourde, celle pénale, à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. Le conseil municipal attend de savoir, si la commune sera finalement condamnée, pour envisager de renouveler ou non cette concession, prolongée jusqu’en 2024. Si le jugement entraîne de lourdes conséquences financières pour notre petite commune, nous serons amenés à nous interroger sur la pertinence de continuer à assumer cette compétence qui, à l’origine, n’est pas la nôtre.