Guerre en Ukraine : «C’est le flou total»… la longue attente des marins des cargos russes bloqués en France
Dans le cadre des sanctions prises contre Moscou, les douanes françaises empêchent plusieurs navires russes de reprendre la mer. À Saint-Malo, l’équipage du Vladimir Latyshev est coincé depuis plus d’un mois, sans savoir quand il pourra repartir.
Le cargo russe Vladimir Latyshev et ses 12 marins sont bloqués depuis plus d’un mois dans le port de Saint-Malo sur décision des douanes. LP/Solenne Durox
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Le 9 avril 2022 à 18h35
On le reconnaît de loin à son pavillon blanc bleu rouge. Long de 141 m, le cargo russe Vladimir Latyshev est bloqué dans le port de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) depuis le 2 mars. En provenance de Saint-Pétersbourg, il était venu décharger une cargaison de magnésie pour une société du groupe Roullier spécialisé dans la nutrition végétale et animale, avant d’être immobilisé sur ordre des douanes. Une décision prise dans le cadre du gel des avoirs lié aux sanctions décrétées par l’Union européenne envers les soutiens russes à la guerre en Ukraine. À bord, les douze marins, dont une femme, commencent à trouver le temps long. Ils l’occupent tant bien que mal en faisant de la maintenance, du nettoyage.
« L’équipage est pris au piège. À chacune de mes visites, le commandant semble de plus en plus nerveux », explique Laure Tallonneau, inspectrice de la fédération internationale des transports. C’est déjà la cinquième fois qu’elle vient à la rencontre de ces 12 marins âgés de 22 à 56 ans afin de s’assurer de leur bien-être et faire respecter leurs droits. Malgré la barrière de la langue — ils ne parlent pas tous anglais —, elle a réussi à savoir qu’ils sortent peu du navire mais sont heureusement payés par leur employeur et reçoivent des provisions. « Le problème, c’est qu’ils n’ont aucune perspective de départ et les douanes ne communiquent pas. C’est le flou total », ajoute Laure.
Comme le Victor Andryukhin, un autre cargo russe immobilisé à Marseille depuis début mars, le Vladimir Latyshev appartient à la société JSC GTLK dont l’actionnaire est la Fédération de Russie. Visé par la liste de sanctions, le ministre des Transports Vitaly Savelyev en était le président du conseil d’administration jusqu’à ce qu’il démissionne de ses fonctions au sein de l’entreprise le 5 mars selon l’agence de presse russe Interfax.
Les douanes condamnées à payer 100 000 euros
Parmi tous les navires contrôlés par les douanes françaises, il y en a un qui a eu plus de chance que les autres : le Pola Ariake. Retenu à Lorient (Morbihan) depuis fin février, il a pu reprendre le large le 28 mars après moult péripéties. Ce vraquier qui bat pavillon panaméen appartient à une filiale hongkongaise de JSC GTLK. Son armateur Pola Maritime avait saisi la justice et obtenu gain de cause le 18 mars. Le soulagement des marins n’avait été que de courte durée. Le lendemain, alors que le navire s’apprêtait à appareiller, les douanes étaient montées à bord pour le saisir.
« Elles ont occulté l’ordonnance rendue la veille et se sont opposées à la décision de justice », affirme Bertrand Costes, l’avocat de l’armateur. Ce dernier a dû réassigner en référé pour demander la mainlevée de la saisie. Le tribunal lui a une nouvelle fois donné raison et a, en outre, condamné les douanes à payer 100 000 euros de dommages et intérêts. Selon Me Costes, il est impossible de relier directement la filiale de GTLK à Vitaly Savelyev. « La notion de contrôle n’est pas prouvée. »
Les douanes ont fait appel. Président de l’association Mor Glaz qui défend les marins, Jean-Paul Hellequin ne comprend pas pourquoi la France est aussi « zélée » pour appliquer les sanctions. Geler ces navires n’est pas sans conséquences sur « les marins qui ont déjà subi la pandémie et qui vivent ensemble 24 heures sur 24 sur un bateau ». « La situation peut se dégrader. »
Alors que l’Union européenne a acté le 7 avril de nouvelles sanctions contre la Russie, dont la fermeture des ports européens aux navires russes, Jean-Paul Hellequin doute que cette dernière mesure soit efficace. « Beaucoup de navires battant pavillon russe sont en train de changer de pavillon. C’est très simple à faire, en moins de 48 heures, tout comme de changer de propriétaire. Il suffit de créer une boîte à lettres dans un paradis fiscal. » Sollicitée, la direction générale des douanes n’a pas souhaité répondre à nos questions.